CAMUS Albert - Une Vie

Biographie

Auteur : Olivier TODD

Editions NRF  Gallimard

 

 

 

 





 

 

Préface de Jacques SOUSTELLE de l’Académie Française

 

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« Nos catacombes… C’est l’infinie pitié pour nos victimes qui, pour les autres, sont des coupables et c’est notre respect pour les violences des nôtres qui, pour les autres, sont des crimes. C’est cette sorte de solidarité instinctive qui nous lie, tous dressés contre l’adversaire, même s’il nous arrive de penser qu’en telle occasion, les nôtres ont tort »…

 

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En 1949, le hasard d’un autre chantier nous conduisit à Ziama-Mansouria, sur cette côte de Bougie à Djidjelli, coincée entre la montagne et la mer. Là, chaque tournant de la route en corniche offre une succession d’émerveillements.

 

Nous découvrions Cap-Aokas, Oued-Marsa, Souk-el-Tenine. Nous nous promenions sur des plages désertes ou bien nous accompagnions des chasseurs de sangliers dans la montagne, si proche, que, parfois, elle finissait abrupte dans la mer.

 

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Certaines plumes distribuent, aux uns l’opprobre sans pardon d’avoir représenté l’ère coloniale maudite, aux autres la gloire d’avoir participé à la naissance d’une nation. Tous n’étaient que de pauvres êtres en proie à la souffrance et à la peur.

 

« En histoire, il n’y a pas de question finie… »  a écrit Paul Valéry.

 

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A Sétif, les émeutiers étaient pressés, craignant les réactions de la police et de l’armée présentes sur place. Il n’y a pas eu de viols. L’excitation brutale l’a emporté. Il n’en a pas été de même dans les villages ou les maisons isolées.

 

Ferdinand Arnold est au marché de Sétif, comme presque tous les agriculteurs des environs. Il représente le type même de ces propriétaires du Constantinois, dont la plupart sont de petites gens, qui travaillent dur sur leurs terres, vivent en symbiose avec les indigènes depuis leur enfance, parlent leur langue et leurs dialectes, les écoutent, leur rendent multiples services et en reçoivent.

 

Ce sont ces colons qui n’ont pas leur place dans la propagande politique manichéenne. A leur propos, on n’a su que rendre péjoratif le mot « paternalisme » en oubliant que la chaleur humaine dont il est chargé était très bien acceptée et avait permis, plus que des discours et des promesses, de dispenser dans le bled de multiples services, allant du soin médical, à la construction de maison, de route, d’une fontaine, à l’attribution d’un emploi, et même d’aides personnelles désintéressées.

 

Page 34 :

 

Kerrata se trouve en amont des gorges du Chabet-el-Akra, le défilé de la mort. Sur une dizaine de kilomètres, elles offrent la majesté oppressante de sombres parois rocheuses, serrées et presque verticales qui étouffent dans une ombre permanente les tumultes de l’oued Agrioun. Les sommets avoisinent deux mille mètres. La route fut lancée comme un défi (en 1862), à cent mètres au-dessus de l’eau, peu de temps après la conquête de la Kabylie décidée par le gouverneur général Randon. Virages serrés et tunnels se succèdent sous d’énormes rochers rendus plus menaçants encore par les cascades imprévisibles des effritements. Pierres et arbres sont propices aux guets, aux barrages et aux embuscades quand le cauchemar remplace soudain les émerveillements touristiques.

 

Page 46 :

 

Nous avons, là, un exemple des liens réels qui existaient entre les colons, vivant sur leurs terres, et les indigènes. L’estime, la confiance étaient plus fréquentes qu’on ne croit et, surtout, qu’on ne l’a dit. Mai 1945 a porté un coup très dur à ces rapports humains.

 

Page 47 :

 

Parmi les personnes, ayant refusé de se réfugier à Cap-Aokas, alors qu’il en était encore temps, se trouve le ménage Lambert de la maison forestière de Tamentout.

 

Page 75 :

 

Le sous-préfet reconnaît avoir fait procéder à des exécutions, en indique le nombre mais rejette, fermement, les évaluations exagérées et les accusations d’exécutions sommaires : « M. le Ministre fait remarquer : nous sommes alors très loin des chiffres publiés dans la presse qui vont de cent cinquante à mille. M. Battestini fait remarquer qu’il n’a absolument aucun témoignage relatif à ces exécutions… que même la découverte de charniers ne prouvera rien, puisque, par exemple, à la suite d’un engagement, il y a eu une trentaine de tués au combat ».

 

Page 77 :

 

Comme tant d’autres, gaullistes de la première heure, celle où le général affirmait « publiquement la volonté de la France victorieuse de ne laisser porter aucune atteinte à la souveraineté française sur l’Algérie », après les espoirs du 13 mai 1958 et « la France de Dunkerque à Tamanrasset », Achiary a durement ressenti le changement radical de sa politique.

 

Milice, est-ce vraiment le mot qui convient ?

 

Oui, si l’on s’en tient au sens premier : troupes levées dans des villes pour assurer leur défense. Cela correspond, très exactement, aux précisions données à la Chambre, le 18 juillet 1945, par le ministre de l’Intérieur, A. Tixier. Il parle « d’organisation de défense des centres », prévue par la loi.

 

Page 78 :

 

Non, si le mot est lancé à dessein pour frapper les imaginations. En effet, dans la métropole, peu à peu libérée, on s’indigne devant les actes odieux des milices tristement célèbres de Vichy dont on poursuit les responsables.

 

Milice n’indique plus la défense de la ville et des citoyens mais, dans ce cas, des agissements coupables de basse-police. C’est ce sens actualisé que l’on applique à Guelma ; l’adjectif « fasciste » ne tardera pas à apparaître et l’on verra même des croix gammées sur les murs. On en parlera peu car, au lieu d’être la marque d’un complot de « colons fascistes », il est possible qu’elles expriment les regrets de musulmans séduits par la propagande allemande.

 

Page 84 :

 

Il ne connaîtra pas la suite, il se tue dans un accident d’avion, le 22 août 1955, au retour d’une réunion militaire qui se tenait dans la région où les drames se sont produits.

 

Le général Bernard Duval, son fils, nous écrit à propos des événements du Constantinois : Je crois que mon père a agi en complète identité de vue avec Alger, c’est bien évident, mais aussi avec Paris (les milieux proches du général De Gaulle, si ce n’était lui-même).Quand aux bilans, là encore il faut garder la mesure mais, l’essentiel, à mon avis, est la prise de décision d’une réaction rapide et ferme, montrant à tous (musulmans, Européens, puissances étrangères…) que la France restait maître du jeu : c’est une position qui ne pouvait pas être prise uniquement par un général de brigade ; l’action a été décidée au plus haut niveau.

 

Par contre, c’est mon père qui a conduit les opérations avec toute l’énergie, la détermination et la fermeté voulues. La phrase qu’on lui prête résume bien sa position : « Je vous donne la paix pour dix ans, à vous de vous en servir pour réconcilier les deux communautés. Une politique constructive est nécessaire pour rétablir la paix et la confiance… » Ce n’est pas la phrase exacte mais l’esprit est intact ».

 

Page 86 :

 

L’ordre vient donc, et c’est normal, du Gouvernement provisoire de la République, présidé à Paris par le général De Gaulle qui a d’autres soucis en métropole que cette rébellion déclenchée dans le Constantinois. Sans consulter les historiens, pour s’en rendre compte, il suffit de parcourir la presse : villes totalement écrasées par les bombardements et qu’il faudra reconstruire, rationnement, économie à remettre en marche, épuration, luttes politiques pour la maîtrise du pouvoir… On se bat encore dans Dunkerque, occupée depuis le 4 juin 1940, dont les ruines ne seront reprises que le 11 mai.

 

C’est pourquoi, comme l’a noté Georges Bidault en conseil des ministres : « Les troubles de Satif étaient réglés dans le silence, avec la plus grande rigueur ».

 

 Bien peu de place aussi dans les Mémoires de Guerre du général De Gaulle : « En Algérie, un commencement d’insurrection, survenu dans le Constantinois, et synchronisé avec les émeutes syriennes du mois de mai, a été étouffé par le gouverneur général Chataigneau ». Laconisme surprenant d’un homme dont tous les efforts tendent à s’affirmer comme le responsable du gouvernement de la France et qui se retranche derrière son subordonné !

 

C’est une affaire mineure, il faut la régler rapidement.

 

Le général De Gaulle le confirme par un télégramme adressé au gouverneur général Chataigneau qui le lit, le 11 mai 1945, devant la délégation financière : « Veuillez transmettre, aux familles des victimes de l’agression de Sétif, la sympathie du général De Gaulle et du Gouvernement tout entier. Veuillez affirmer publiquement la volonté de la France victorieuse de ne laisser porter aucune atteinte à la souveraineté française sur l’Algérie. Veuillez prendre toutes les mesures nécessaires pour réprimer tous agissements anti-français d’une minorité d’agitateurs. Veuillez affirmer que la France garde sa confiance à la masse des Français musulmans d’Algérie ».

 

Page 89 :

 

L’Armée avait pour mission d’arrêter les massacres et de saisir les armes. « Bilan de l’armement récupéré, en un mois, sur le département de Constantine : huit mille six cent vingt-huit fusils de chasse, trois cents quatre-vingt onze autres, de modèles anciens, trois cents cinquante-huit fusils de guerre français et étrangers, trois mitraillettes, mille deux cents pistolets et révolvers ».

 

Saisies après les combats, ou apportées au moment des redditions des tribus en gage de bonne foi, les armes étaient déposées en tas sur les places de village avec les armes blanches de tous genres qui, elles, n’ont pas été répertoriées.

 

Page 103 :

 

Par une ironie cruelle, et un aveuglement politique certain, les gouvernements français s’en sont révélés des alliés imprévus. « Nous nous sommes faits professeurs de fanatisme, nous avons bâti des mosquées qu’on ne nous demandait pas… » écrivait le général de Sonis sous le Second Empire. La République a continué, créant des écoles coraniques et des médersas où des religieux subventionnés enseignaient le Coran en même temps que la haine contre les Français.

 

Page 106 :

 

Il s’y mêle un regret : non pas celui d’avoir assassiné et pillé inconsidérément, mais celui d’avoir suivi des meneurs qui n’avaient pas suffisamment calculé leur élan… Il y a de braves gens parmi les musulmans français : j’ai cité des exemples édifiants et indiscutables de dévouement et d’ « adoption » nette de notre cause. Mais combien sont rares ceux qui – automatiquement – par réflexe, se sont sentis solidaires de nous, Européens, les 9 et 10 mai. Ce sont, généralement, des simples, des modestes, auparavant ignorés ou à peine connus.

 

 

A côté de ceux-là, la cohorte imposante des habiles, des rusés, de ceux qui, ayant des intérêts matériels ou des situations lucratives à sauvegarder, ont attendu la brise pour orienter leur voile : ils font partie de la « masse-qui-n’a-pas-marché ». Ils bénéficient du doute, donc du préjugé favorable. En fait, ils faussent les estimations ».

 

Page 1O8 :

 

D’après des notes prises en consultant des archives de la Xè région militaire, le général Jacquin a pu écrire : « Le 8 mai, le jour même de la fin des combats, l’émeute éclate… Les musulmans, connus pour leur attachement à la France, ne sont pas épargnés : huit cents tombent sous les coups des assassins ».

 

Page 109 :

 

Cette expiration devait atteindre une apogée quelques années plus tard, dans les tueries de Wagram et Melouza et dans les règlements de comptes de la « Libération ». Ceci dans une indifférence qui ne fait pas honneur à la majorité des intellectuels et des politiciens français, si prompts à s’enflammer pour une défense sélective des droits de l’homme.

 

La répression a été d’autant plus meurtrière que nos amis spahis musulmans trouvaient des membres de leur famille tués, blessés et leurs maisons détruites, car les insurgés s’en étaient également pris aux familles des militaires ».

 

Page 117 :

 

L’enquête, prescrite par le gouverneur général Chataigneau, enquête basée sur la différence entre le nombre des cartes d’alimentation, distribuées avant les événements de mai, et le nombre de cartes présentées ensuite, a montré qu’à peine un millier de musulmans, tués ou blessés ou en fuite, avaient disparu au cours des deux semaines de troubles.

 

Page 118 :

 

Le général Martin évoque ici l’enquête diligentée par le gouverneur général à propos du nombre de cartes d’alimentation. Ce système de recensement est fiable, très voisin de la réalité, lorsqu’on sait que personne ne se dérobait alors à ce moyen d’obtenir des denrées rares et essentielles. Il est surprenant que peu d’auteurs, ou de journalistes, en aient fait état et qu’ils se soient contentés de le citer, sans en indiquer l’importance. Il en fait également état dans l’article suivant.

 

Page 120 :

 

En ce qui concerne la guerre, lorsqu’on se souvient de l’âpreté des combats et des déluges de feu, on se rend compte que la proportion des bombes, obus et balles, qui n’atteignent personne, est stupéfiante, même lorsque la densité des combattants est importante.

 

Page 129 :

 

Puisque toute recherche impartiale, sur les incidents, requerrait une enquête de l’administration elle-même, il sera facile d’accuser le Gouvernement général d’essayer de se protéger lui-même…

 

Nous avons appris, d’autres sources, que le gouverneur général a eu, depuis le commencement de l’affaire, les mains liées par le Gouvernement de Paris, et que Chataigneau n’était pas libre de suivre la ligne d’action que lui et ses conseillers auraient choisi.

 

On leur prête la conviction que s’ils avaient été autorisés, au tout début, d’exécuter, en gros, cinquante agitateurs nationalistes et d’emprisonner quelques centaines d’autres, ils auraient pu rétablir l’ordre en deux jours, au lieu de recourir à une répression militaire sévère, et aveugle, sur une vaste région ».

 

Si cette accusation pouvait être prouvée, elle serait très grave pour le Gouvernement français.

 

Pages 131-132 :

 

Une commission d’épuration est créée, par décret, en décembre 1943. Le général Giraud est évincé de la scène politique à la même époque et placé « en réserve de commandement » par le général De Gaulle en avril 1944. De Gaulle a surmonté les premières graves difficultés pour la conquête du pouvoir. Il ne pardonnera jamais aux Français d’Algérie de n’avoir pas reconnu, immédiatement et dans leur grande majorité, la légalité qu’il veut incarner.

 

Page 145 :

 

« Le génocide de mai 1945 comme tous ceux qui l’ont précédé depuis 1830 »… Génocide signifie « extermination systématique d’une ethnie ». Les musulmans étaient moins de deux millions en 1830, cinq millions en 1925 et huit millions et demi en 1954, ce qui représente un des taux d’accroissement les plus élevés du monde. Curieuse « extermination » ! Le mot est choisi à dessein pour dénaturer l’action de la France, chargé comme il l’est par l’association mentale instantanée avec le nazisme.

 

Le massacre délibéré des juifs jalonne la longue histoire de la cohabitation des juifs et des musulmans dans tous les pays des rives sud de la Méditerranée. Son éradication des pays du Maghreb est consécutive à la présence française, encore que les autorités se soient laissées surprendre, en 1934, à Constantine. « Une foule de manifestants musulmans fut maîtresse, pendant plus d’une heure, de la rue principal de la ville et des rues adjacentes. Non seulement les magasins juifs furent pillés mais des familles entières et des juifs isolés furent massacrés jusque dans leurs appartements ». Il y eut vingt-trois morts. Les émeutes de 1945 n’eurent jamais ce caractère raciste anti-juif. Six israélites furent tués parce qu’ils se sont trouvés, comme bien d’autres victimes, sur le passage des insurgés.

 

Page 149 :

 

La Dépêche de Constantine du 12 mai accorde ses gros titres au message de sympathie du général De Gaulle, lu par le gouverneur Chataigneau devant les délégations financières, et fortement applaudi. Un bref compte rendu du conseil des ministres nous apprend qu’il a approuvé « les mesures prises pour maintenir l’ordre dans les trois départements » et que le nécessaire va être rapidement fait pour assurer les ravitaillements de la population. Apparaît, là, une cause des troubles (ou, tout au moins, un facteur favorable) qui sera souvent repris.

 

 

 

Page 152 :

 

Ces prises de positions des communistes, jointes aux faits que certains d’entre eux ont pris une part active dans l’action des groupes d’auto-défense, en particulier à Guelma, que le secrétaire général du parti communiste français Maurice Thorez était vice-président du conseil et que le communiste Charles Tillon était ministre de l’Air, donc jugé responsable des bombardements répressifs, ont suscité, chez les nationalistes algériens, une méfiance qui ne s’est jamais dissipée.

 

Page 193 :

 

En engageant toutes les armes réunies, le Gouvernement français a montré sa volonté de liquider cette affaire dans les plus brefs délais, par n’importe quel moyen, dans le but de sauvegarder intact l’empire colonial, compte tenu du contexte international de l’époque ».

 

Page 194 :

 

« Le 8 mai, thème de la propagande du nationalisme algérien. Ce jour-là, une démonstration de force du nationalisme renaissant est devenue une tragédie nationale. Dès lors, les nationalistes allaient s’en emparer pour en faire la journée des martyrs et un thème de propagande puissant… La première opération a consisté à renverser les rôles : d’accusés, les nationalistes sont devenus accusateurs…Le thème de propagande a donc été repris à maintes reprises, tant à l’intérieur qu’auprès des instances internationales, par toutes les formes d’expression possibles pour stigmatiser la répression colonialiste, pour poser un cas de conscience à l’opinion publique, créer une prise de conscience nationale, attirer l’attention sur les malheurs du peuple algérien colonisé, préparer moralement celui-ci à reprendre la lutte armée ».

 

Page 195 :

 

Renouad Aïnad Tabet est l’auteur qui contribue le mieux à placer les événements de mai 1945 dans l’histoire de leur nation que les Algériens souhaitent écrire ou «  réécrire ». Comme il le reconnaît, cette vision historique a été lancée puis soutenue par une propagande habile, obstinée, donc efficace, en dépit de ses outrances et de ses erreurs, sans oublier l’utile soutien de journalistes et intellectuels français.

 

Ce jour-là, le peuple algérien a perdu ses illusions et compris qu’il ne serait libre et respecté que lorsqu’il serait fort. La révolution commençait… Cette généralisation est sans doute bien hâtive (tout au plus pourrait-on dire : ce jour-là quelques nationalistes…). Une telle clairvoyance rétrospective gauchit en effet la réalité historique, car la masse de la population algérienne n’a pas bougé en 1945, pas plus, d’ailleurs, qu’elle ne bougera en 1954. Si la répression de mai 1945 a, sans aucun doute, scellé le nationalisme de quelques-uns, il n’en reste pas moins qu’à cette époque, les chances de la France étaient loin d’être jouées ».

 

 

Page 199 :

 

Les premières victimes occupent peu de place, quand elles ne sont pas escamotées. J’ai relevé bien peu d’indignation devant l’assassinat délibéré de pauvres gens sans défense alors que, par chapitres entiers, on nous donne toutes les bonnes raisons pour lesquelles ils ont été assassinés.

 

Page 206 :

 

Ferhat Abbas est né en 1899 au douar Chalma dans la commune mixte de Taher, en Kabylie, où son père est agha.

 

En 1931, il publie un recueil d’études politiques sous le titre : « Le jeune Algérien » où s’exprime le désir d’intégration de l’élite indigène « qui permettra à la colonie de devenir province ».

 

Pages 210-211 :

 

Quand il y a eu le drame du 20 août 1955, à El-Alia et dans la région, la première victime a été son neveu qui était pharmacien à Constantine. Il était midi, un type du FLN est entré dans la pharmacie et l’a froidement abattu. Moi, je suis parti sur le terrain, je suis rentré au bout de deux ou trois jours, j’ai reçu Abbas tout de suite (Soustelle). Il était bouleversé. Il considérait ce neveu presque comme un fils adoptif. A ce moment-là, il jurait ses grands dieux qu’il n’aurait jamais à faire avec les gens du FLN, qu’il les haïssait, etc…Et puis il reçut des menaces plus directes et il a jugé, finalement, qu’il fallait se rapprocher d’eux.

 

Page 222 :

 

« La production baissa de 1943 à 1945 où une sécheresse extrême amena l’effondrement des troupeaux et une grave diminution des denrées agricoles… A cela, il fallait ajouter la mobilisation des Européens – dont le taux était plus élevé que celui des autres pays en guerre – qui privait la production de ses cadres et de ses ouvriers agricoles (C. Martin, Histoire de l’Algérie française, éd. Tchou-Laffont, 1971).

 

Page 223 :

 

Il est unanimement reconnu que la disette ne fut pas la cause principale des événements de mai. Les régions, où ils se sont produits, n’étaient pas les plus touchées. Elles possédaient des réserves importantes. (« Le prétexte de la disette a été faussement invoqué, ce qui ne veut pas dire que la disette ne sévisse pas cruellement dans certaines régions du département (Kenchela, M’Sila, Tebessa, Biskra…) mais les émeutes se sont précisément produites dans les parties les plus riches, les plus perméables à l’influence française, dans celles où l’action des instituteurs, des médecins, de la justice, s’étaient largement développées : Tizi N’Bechar où existe une école indigène modèle, Périgotville, un des villages les plus aisés de Kabylie, dans un paysage de France où la récolte s’annonçait magnifique, Petit, Millesimo, Villarde, centres de petite colonisation où Européens et indigènes cohabitent étroitement depuis près d’un siècle » (lettre du général Duval au général H. Martin, 19 mai 1945).

 

 

 

 

Page 239 :

 

Le général Duval écrivait : « Nous avons à faire face à des ennemis irréductibles qui sauront tirer les leçons de l’échec qu’ils ont subi. Ne tardons pas, de notre côté, à mettre à profit les enseignements essentiels de ces événements… Une heure grave sonne pour l’Algérie, il appartient à chacun de prendre ses responsabilités dans la crise dont nous commençons à ressentir les premières manifestations ».

 

Un fait est certain : il n’est pas possible que le maintien de la souveraineté française en Afrique du Nord soit exclusivement basé sur la force. Un climat d’entente doit permettre aux populations, européenne et musulmane, de l’Algérie de cohabiter en paix, pour le plus grand bien du pays… Il est urgent de rétablir le prestige et le respect indiscuté de la souveraineté française en Algérie, battus en brèche par des ennemis qui ne désarmeront pas et qui mettront tout en œuvre pour arriver à leurs fins. Il y va du sort de l’Afrique du Nord toute entière ».

 

Page 242 :

 

Je ne peux pas oublier, non plus, que les Européens, et les Musulmans, victimes des insurgés, le sont doublement, lettres et témoignages reçus me le prouveraient s’il en était besoin. Victimes d’abord dans leur chair, depuis quarante-cinq ans, ils sont victimes des omissions et du silence. J’ai dit que, dans certains textes, ils étaient escamotés. Dans les autres, quelles que soient, bonnes ou mauvaises, les intentions de leurs auteurs, ceux-ci consacrent des colonnes, voire des chapitres, à expliquer les causes de la révolte des indigènes, à protester contre la mort de présumés innocents. J’écris bien « présumés » car, sous de trop nombreuses plumes, les victimes (vraies ou multipliées) de la répression sont toutes innocentes et leur mort sans excuse. Mais n’étaient-ils pas innocents, eux aussi, les cent trois morts tombés sous les coups conjugués d’une Djihad anachronique et de politiciens ambitieux ? Ne méritaient-ils pas que l’on s’attache à dire, encore plus que l’horreur, l’injustice de leur sort ?