Trois générations d'anciens Combattants.

 

Cet article est paru dans les Editions Régionales de la Voie du Combattant.

 

Jean Auguste Maurice (que, dans la famille, nous appelions Maurice) DELAGE est né le 28 janvier 1886 à Duquesne ([1]), (département de Constantine).

Ses parents, mariés depuis à peine un an, venaient de s’installer dans cette région à la fois proche de la Méditerranée et proche des montagnes de la Petite kabylie. A cette époque, l’Algérie était une province française et le gouvernement encourageait les métropolitains à s’y installer pour mettre en valeur un pays, alors quasi désertique, où rodaient encore des bêtes fauves.

Il fallait beaucoup de courage à ces pionniers pour tenir dans une nature hostile : Oueds en crus, grandes  sécheresses et incendies et, enfin, les sauterelles. Tout cela ruina les espoirs de la famille qui, au bout de dix ans, ré-embarquat pour la métropole.

Entre temps, quatre  autres enfants étaient nés mais deux décédèrent en bas âge.

Nous savons peu de choses de ce que devint la vie du jeune Maurice sur le continent mais nous pouvons dire que, jamais, il n’oublia les dix années de sa jeunesse passées dans ce pays ensoleillé.

Plus tard, il apprit la chimie et se passionna pour une technique toute nouvelle : la radio-électricité. Ceci devait lui être fort utile et lui permettre d’accomplir son service militaire en tant que téléphoniste et, quand la guerre fut déclarée, d’être incorporé avec cette spécialité au 125ème R.I. Le téléphone, si la radio n’était pas encore utilisée sur le front, remplaçait avantageusement les pigeons voyageurs dans les communications.

Quand il dût partir pour ce conflit, que tous annonçaient de courte durée, son épouse attendait leur 1er enfant, Rosa, qui naquit en février 1915. Pendant ce temps, la guerre s’éternisait et, début 1916, commençait la plus grande bataille de cette guerre : Verdun.

Le 125ème RI s’y trouva en 1ère ligne et, le 7 novembre 1916, l’équipe téléphonique du régiment reçut sa 1ère citation.

 

 

Dans l’horreur de cette tuerie généralisée, un général se distingua en essayant d’y mettre un peu d’humanité. Il sut améliorer les conditions de vie des soldats et redonner le moral à la troupe tout en étant d’une exigence absolue concernant la discipline. Le « Vainqueur de Verdun », devenu Maréchal de France, reçut la considération et l’admiration de tous et, particulièrement, des anciens combattants et mérita bien son nom de « Père la Victoire ».

Il est à penser que Maurice bénéficia de l’amélioration des conditions de vie pour la troupe ce qui lui permit de partir en  permission. Son 2ème enfant, un fils, naquit le 7 août 1917 et eut pour nom « Maurice Henri Louis ». Dans la famille, on l’appela Louis, pour simplifier (ou était-ce parce que dans cette famille, le prénom d’usage était le dernier ?).

Mais la guerre n’était pas finie et, le 29 mai 1918, le sapeur de 2ème classe Maurice Delage reçut  sa seconde citation à l’ordre du régiment « pour avoir réparé les liaisons téléphoniques, sous les bombardements incessants, lors de l’attaque Allemande du 9 mai ».

 

Enfin, la paix revint. Il reçut encore une médaille qu’il accrocha fièrement dans sa maison : Celle des « Anciens de Verdun ». Les années qui suivirent ne furent pas forcément faciles. Les enfants grandissaient et c’était la crise… Il fut séduit par les paroles de Clémenceau (l’autre « Père la Victoire ») qui avait dit : « Ils ont des droits sur nous » (il parlait des anciens combattants). Un beau jour, Maurice décida d‘adhérer à une association qui venait de se créer : l’UNC (Union Nationale des Combattants).

     

Recto                                                                               Verso

 La croix de guerre de mon grand-père.

 

L’année 1938 fut riche en événements pour la famille de Maurice. Tout d’abord, à la fin 1937, son fils, Louis, était parti faire son service militaire. D’inquiétants bruits de guerre résonnaient alors et il était à craindre que « la Der des Der » ne mérite plus son nom.  En juillet, sa fille aînée lui donna un petit fils qui reçut pour prénom : « Louis René Philippe Maurice ». (Ainsi, la tradition familiale des prénoms multiples était maintenue).

Puis, les 29 et 30 septembre, la paix fut sauvée ! Les accords de Munich eurent un effet immédiat pour Louis qui put venir en permission et devenir le parrain du dernier né de la famille.

Pourtant, la paix était fragile et ne dura pas : L’année suivante ce fut « la drôle de guerre ». Avec la mobilisation générale le service de Louis se prolongea. Il servait maintenant au 133ème RIF (Régiment d’Infanterie de Forteresse) sur la ligne Maginot.

La France s’enterrait sous le béton et s’endormait en attendant un ennemi occupé ailleurs….

 

Le 10 mai 1940 cet ennemi attaquait et interrompait les « PiouPiou » dans leurs sempiternelles parties de cartes. Mais les « Boches » étaient loin d’être « Fair-Play ». Ils se permirent d’attaquer en passant par la Belgique et contournèrent nos lignes de défenses, réputées inexpugnables. Les défenseurs se défendirent mais les canons n’étaient pas tournés du bon côté et, bientôt, le 133ème RIF, comme les autres unités, durent déposer les armes.

Louis, après deux ans de service et une année de drôle de guerre, se retrouvait prisonnier pour de nombreuses autres années…. Bientôt, par de rares courriers transmis par la Croix Rouge, Maurice apprit que son fils était dans un camp près de Trèves (en Allemagne et au bord de la Moselle).

 

C’est à cette époque que Maurice écrivit cette phrase prémonitoire : « Je songe que j’ai fait la guerre de 14-18, que maintenant mon fils Louis est en Allemagne prisonnier et que, dans 25 ans, mes petits enfants iront, eux aussi, à la guerre»

 

Plus tard, c’est aussi par la Croix Rouge qu’il apprit que, le 28 août 1942, son fils Louis était décédé de tuberculose à l’hôpital de Trèves. Les déplorables conditions de vie avait eu raison de la santé du jeune homme. Ainsi, il devint un MPLF (Mort Pour La France).

Bien plus tard encore, après la guerre, son corps fut rendu à sa famille et inhumé au cimetière de Dammarie les Lys. Louis eut droit à une inscription au Monument aux Morts de la commune (Le graveur, troublé par les multiples prénoms, choisit le 1er et  y inscrivit : « Maurice Delage »).

 

Avec lui disparaissait, dans cette famille, la deuxième génération de Combattants

Sa fiancée, Ghislaine, qui l’attendait depuis cinq ans, ne se maria jamais. …

 

 

 

 Sur le Monument aux Morts de la ville de DAMMARIE Les Lys, le graveur ne s'est pas retrouvé dans la complexité des noms de cette famille. Il a marqué M pour Maurice alors qu'il faut lire Louis.

  

Malgré la douleur causée par la perte de son fils, Maurice continua à garder toute sa confiance au vieux Maréchal qui « avait  fait don de sa vie à la France ». A cette époque, tous les français étaient pétainistes ([2]) c’est bien connu. A plus forte raison, pour un ancien de Verdun, Pétain représentait, l’autorité et l’honneur de la France. Comme chaque français, Maurice avait un portrait du Maréchal accroché en bonne place dans sa maison.

Maréchal Philippe PETAIN (1941 Wikipedia)

Tout ceci n’était pas bien grave (c’était même normal, si l’on se replace dans le contexte de l’époque). Mais, un beau jour, ce fut la « Libération » et l’on vit apparaître des résistants qui sortaient de partout. Car, libération rimait avec épuration… Quelques jours à peine après ces événements, on sonnât à sa porte. Des hommes, habillés de kaki, et armés de fusils et mitraillettes, se présentèrent. Parmi eux, il reconnut un collègue de travail, que nous désignerons par  : xxx, lui aussi en kaki.

Celui qui paraissait être le chef du détachement, lui dit qu’il avait ordre de l’arrêter et de le conduire à son officier. Très bien, il s’expliquerait donc avec l’officier en question mais, d’abord, il interpella son ami xxx. Ce dernier, se rengorgeant, déclara que c’était sur son ordre qu’il était arrêté. Il lui dit aussi : C’est fini les « Heil Hitler » ! Tout est changé  à présent !

Ces paroles le laissèrent cloué de stupéfaction. Il croyait avoir toujours entretenu les meilleures relations d’amitié, avec ce collègue, celui-ci avait souvent été invité à sa maison en ami sincère (pensait-il).

Arrivé devant l’officier, il dut attendre la fin d’un conciliabule entre xxx et l’officier. Enfin, le lieutenant s’adressa à lui pour lui dire : « Salopard, ton compte est bon ! ». On avait trouvé, à son domicile, des pièces à convictions très compromettantes : Le portrait du Maréchal, et une carte Michelin sur laquelle avait été tracée, par xxx et par lui même, une route leur permettant de faire les 20 kms en vélo qui séparaient leur domicile de leur lieu de travail. Ceci en évitant les nombreux et tatillons contrôles Allemands. Cette carte aurait pu paraître douteuse aux autorités d’occupations mais, maintenant, c’était ces FFI, ces résistants de la dernière heure, qui y trouvaient à redire. …

Le lieutenant l’informa, qu’en conséquence, il recevrait 12 balles dans la peau. De plus, on lui annonçât que la sentence serait exécutée d’ici 3 jours.

Pourquoi 3 jours (et pourquoi 12 balles) ? c’est, dans de telles circonstances, des questions qu’il vaut mieux ne pas se poser. Enfermé dans une grange sur la paille, il mit à profit ce répit pour écrire plusieurs lettres qu’il put facilement faire parvenir à des amis (des vrais !). Quand arriva, ce qu’il pouvait penser être sa dernière heure, on vint le chercher pour lui dire qu’il était libre !. Qui était intervenu en sa faveur ? Ses amis anciens combattants ? ou bien tout cela n’était-il qu’une mise en scène ? 

Il ne le sut jamais. Comme il ne revit jamais xxx et ignora toujours ce qu’il était devenu.

De retour chez lui, il trouva sa maison sens dessus dessous. Le portrait du maréchal avait disparu, brûlé sans doute….

Bien des années plus tard, il continua à proclamer que, pour lui, durant ces années d’occupation, la nation n’avait eu qu’un seul vrai Chef ! Tapant du poing sur la table pour mieux convaincre, il affirmait que le traitement, qui avait été réservé au « vainqueur de Verdun », était indigne d’un pays comme la France.

 
Maurice eu la chance de quitter ce monde en 1958, avant d’avoir connu le triste sort qui devait être réservé au pays où il était né.

 

       A cette époque son petit-fils se préparait à aller défendre la France de l’autre côté de la Méditerranée. Représentant la troisième génération, Louis-René se retrouva bientôt dans un régiment d’infanterie qui opérait dans le Constantinois.

Mars 1961 - Berêt Noir sur les hauteurs du massif de COLLO

 

Constantine, Djidjelli tout cela pouvait semblait fort proche, vu de loin, vu de Métropole…. C’est ce que pensa, tout de suite, sa mère (la fille de Maurice, donc). Elle fut quelque peu désappointée quand il lui expliqua que les déplacements du «Bataillon» ([3]) ne le conduisaient pas, de manière habituelle, vers la petite Kabylie mais plutôt vers le « Barrage » de la frontière tunisienne. Cela aurait été vraiment le plus grand des hasards que le petit-fils se retrouve dans les lieux même où était né son grand-père !

 

Juillet 1961 ! Coup de tonnerre ! Le 156ème RIRC déménage. Les 2 bataillons qui le composent doivent abandonner leurs bases d’Aïn-Abid et Oued Zenati (situées à une cinquantaine de kilomètres à l’Est-Sud-Est de Constantine). Louis-René, par ses fonctions de dessinateur-secrétaire est parmi les premiers informés de la nouvelle destination : DJIDJELLI ! là on se rapproche ! Djidjelli, c’est à moins de vingt kilomètres du village où est né son grand-père.

Le déplacement est prévu pour le 5 juillet. Il sera retardé d’un jour, le temps de prêter main forte à la Légion pour un maintien de l’ordre musclé à Constantine. Le lendemain, la colonne reprend la route en passant par les redoutables gorges d’El Milia où le Bataillon avait perdu plusieurs hommes dans une embuscade, deux ans plus tôt.

Après ce fut la découverte de nouveaux paysages, changeant beaucoup de l’âpreté des hauts plateaux du proche Constantinois. Avant d’arriver à Djidjelli, c’est la découverte d’une riche plaine côtière couverte de cultures maraîchères, melons et pastèques, bien sûr, mais aussi courgettes, poivrons, tomates etc… Vers le Nord, c’est la grande bleue et des plages à pertes de vues. Vers le sud, les premières collines sont couvertes de vignes. Plus loin, c’est la ligne sombre des chênes lièges descendant de la montagne.

Voilà, c’était donc le pays que ses arrières grand-parents, qu’il n’avait pas connus, avaient abandonné il y avait plus de 70 ans. Ce pays, si dur à vivre à l’époque, si dur à faire fructifier, certains s’y étaient accrochés, avaient tenus bon quelques années de plus et la nature avait fini par céder et se plier à la volonté des ces pionniers. Maintenant, les oueds étaient endigués, les marécages comblés, les moustiques disparus. L’eau coulait et irriguait les cultures,  même au cœur de l’été. Des villages aux noms français : Strasbourg, Duquesne… avec mairies, églises et mosquées, avec des lampadaires, des rues et des routes, avaient surgis en trois quarts de siècles. Tout cela rappelait la France (celle de l’autre côté de la mer) et donnait l’impression d’une continuité économique, sinon géographique.

 

Ainsi, la boucle semblait bouclée. Le petit-fils, Louis-René, était revenu sur les lieux où Maurice avait vécu ses dix premières années et qu’il aurait voulu ne pas quitter. Il comprenait quel avait été le déchirement d’un enfant de dix ans qui avait, au travers de ses souvenirs, su transmettre à sa fille, qui avait elle même tenté de faire comprendre à son fils, l’amour pour cette belle province française. 

Il quitta l’Algérie fin décembre 1961 persuadé, comme tous ceux qu’il côtoyait (à commencer par le chef du Bataillon), que la France et l’Algérie avaient encore de nombreuses années à vivre ensemble. Le « plan de Constantine », une réalité que tous pouvaient constater, au travers de magnifiques réalisations ([4]) n’était pas pour rien dans cette conviction.

Parvenu à un âge où sa moustache était devenue « poivre et sel » (plus sel que poivre, d’ailleurs) comme celle de son grand-père, Louis-René adhéra à l’Union Nationale des Combattants. Il ignorait alors totalement que Maurice avait été, lui aussi, membre de cette association. 

Le hasard de la relecture d’anciens courriers, comme un message à travers le temps, lui fit découvrir cette participation. Par la même occasion, il découvrit la surprenante prémonition de son grand-père qui avait prévu la troisième génération de combattants (mais était-ce une prémonition ? ou, bien, plutôt, une simple déduction logique de ce que fut l’histoire contemporaine de la France).

 

 


Un petit résumé : 

Maurice DELAGE   (mon grand-père)      né le 28 janvier 1886  à servi au 125ème RI puis au 8ème Régiment de Génie. Adhérent UNC de 1925 à 1945 (estimation). 
Louis DELAGE       (mon parrain)      né le 7 août 1917       à servi au 133ème RIF   MPLF le 25 août 1942 à TREVES
Louis-René THEUROT  (l'auteur)   né le 25 juillet 1938    à servi au 156ème RIRC (Bataillon de Corée).              Adhérent UNC depuis 2001.  

 

Je termine ici ce récit, en m’adressant à ceux de mes amis lecteurs qui pourraient penser qu’il y a beaucoup de coïncidences et, en conséquence,  d’invraisemblances dans ce récit. Je peux les assurer que tout ce que je viens de raconter est la plus stricte vérité car, vous l’aurez compris, c’est l’histoire  de ma famille.

 

                                                                                            Louis-René THEUROT

 


Notes : 

[1]) En 1664, le Roy de France Louis le Quatorzième, las de la lutte contre les corsaires barbaresques qui, partant  des côtes du Maghreb, terrorisaient la Méditerranée, avait lancé une expédition visant à établir une base maritime à Djidjelli. La peste avait eu raison de la première présence française sur cette cote d’Afrique. Le Marquis Abraham Du Quesne, grand amiral et commandant la flotte royale, avait laissé son nom à ce qui plus tard deviendra une petite bourgade. Le problème de la piraterie avait été réglé en 1682-1683 par le bombardement d’Alger. Ceci avait au moins permis de libérer les captifs chrétiens réduits à l’esclavage dans cette ville. Problème réglé de façon très provisoire, il est vrai, car, en 1830, il fallut recommencer. …

[2] ) Lire « 40 millions de pétainistes » de l ‘historien Henri Amouroux.

[3] ) « Le Bataillon (avec un grand B), ainsi appelait t-on encore à cette époque,  le 156ème RIRC (Régiment d’Infanterie, Régiment de Corée) qui avait été créé fin 1950 pour aller défendre la Corée du Sud et qui était arrivé en Algérie en 1955 après un passage par l’Indochine.

[4] )  A l’époque, on construisait dans la région «  le barrage d’Erraguene ». Un des plus grand barrage hydraulique de l’Atlas. (voir « la Mechta Joyeuse », auteur LR Theurot). C'était ce que l'on appelait alors : Le PLAN de CONSTANTINE